RÉCITS FANTASTIQUES GRATUITS

PAGE 5

Quand j’ai franchi la porte des toilettes, patatras ! Toutes les portes des cabines étaient elles aussi verrouillées. Comment était-ce possible alors qu’on ne pouvait les fermer que de l’intérieur ? Si c’était vraiment un coup des Aliens, alors cela tournait au ridicule : peut-être eux aussi étaient-ils amateurs d’émissions télé idiotes et avaient-ils planqué une caméra pour rigoler à mes dépens…

Tant pis, ai-je résolu. Je me soulagerais plus tard, dès que je tomberais sur un endroit suffisamment discret. La faim continuait de me tenailler. Peut-être pourrais-je la tromper en buvant un grand coup d’eau ? Par acquit de conscience, j’ai tourné le robinet du lavabo : pas une goutte n’en est sortie.

J’ai quitté les toilettes, et avant de reprendre l’avenue j’ai jeté un coup d’œil à l’intérieur de la boutique.

Bien mal m’en a pris.

Je m’attendais, en regardant à travers la vitrine, à contempler un intérieur déserté : pas une lumière, pas une âme qui vive, et des rangées entières de barres chocolatées appétissantes laissées à l’abandon et que malheureusement je ne pourrais jamais atteindre. Ça, je m’y attendais. Ce que jamais je n’aurais imaginé, c’était d’avoir affaire à une boutique entièrement vidée. Si ce n’était le plancher et les quatre murs, elle ne contenait plus rien. Tout s’était volatilisé : les rayonnages, le bac frigorifique, le coin presse, le comptoir. Le magasin que j’avais visité trois jours avant seulement (pour y faire ma provision habituelle de sucreries pendant que ’Pa prenait de l’essence) n’était plus à présent qu’une coquille vide, une coquille vide et lugubre.

J’ai chancelé. Une idée atroce a germé dans mon esprit. Est-ce qu’il était possible que… ?

J’ai traversé la station. Mon cœur une fois de plus battait la chamade, et je pressentais que ce ne serait pas la dernière fois. Je suis allée me planter devant le magasin de cycles qui se trouvait du même côté du trottoir, un peu au-dessus.

Lui aussi était complètement vide.

D’un coup d’un seul, faim et envie pressante ont été reléguées au second plan. Le monde a tangué autour de moi, et j’ai cru que j’allais m’évanouir. Par chance, l’arrière de mes cuisses a rencontré l’arête ronde et rugueuse du socle en granit d’un lampadaire, et j’ai réussi sans trop de dommage à m’y avachir.

Je me suis forcée à respirer lentement. J’avais vu ça dans une émission. Respirer lentement, en prenant soin de vider entièrement ses poumons, c’était bon en cas de stress.

Ce n’était pas simplement les gens qu’on avait aspirés, je ne comprenais malheureusement que trop bien, c’était aussi tous les objets dont ils se servaient au quotidien ; tout ce qui, de près ou de loin, avait un rapport avec eux. Il y avait fort à parier que chacune des maisons d’habitation avait été vidée également. La maison de mes voisins était vide. Ma propre maison était vide. Je ne le savais pas encore, tandis que je criais et tambourinais peu de temps auparavant, piégée dans ma propre chambre, mais de l’autre côté de la porte, il n’y avait déjà plus qu’un écho sinistre, l’écho de ma propre voix qui résonnait contre des murs impitoyablement nus.

*

J’ai pris ma tête entre les mains, me retenant pour ne pas hurler. J’avais l’impression d’être aspirée, d’être aspirée de l’intérieur, comme si un trou noir venait d’émerger dans le creux de mon estomac.

Un grésillement m’a alertée et j’ai levé la tête. Il m’a fallu quelques secondes pour réaliser ce que je voyais. Sur ma droite, l’affichage électrique du passage piéton tentait de revenir à la vie. Le bonhomme vert qui marche s’illuminait faiblement, s’éteignait, puis vaillamment, s’allumait encore.

Je me suis redressée d’un bond, le regard rivé sur ce miracle inattendu. Est-ce que c’était un message d’encouragement, pour m’inciter à continuer, à ne pas désespérer ? J’ai sorti le message de ma poche et je l’ai déplié. LAISSE LA LUMIÈRE TE GUIDER, persistait-il à dire. Au loin, au sommet de la tour, telle une étoile qui se serait échouée, la fameuse lumière brillait de plus belle. J’apercevais distinctement des flammes à présent.

La note, le feu et le bonhomme vert. Trois signes consécutifs. Les derniers doutes que j’aurais pu avoir se sont dissipés. Quelqu’un tente vraiment de m’aider, ai-je pensé. Qui était ce « quelqu’un » restait bien sûr à découvrir…

J’ai empli mes yeux du clignotement glauque du signal, et quand il s’est éteint définitivement, j’ai jeté mon papier à terre et je me suis remise en mouvement, consciente que quelque part, on attendait quelque chose de moi, et bien décidée à présent à aller jusqu’au bout de cet angoissant mystère.

Je n’ai pas tardé à atteindre l’intersection suivante. Là, j’ai quitté l’avenue pour pénétrer dans le réseau de ruelles étroites et de voies piétonnes qui constituait le cœur de la ville. La tour du Sablier et son énigmatique balise incandescente se tenaient au-delà de ces ruelles, de l’autre côté de la cathédrale dont j’apercevais aussi la flèche.

Je suis passée devant des demeures bourgeoises, des maisons médiévales restaurées, des échoppes diverses. Tout semblait là : les heures d’ouverture et de fermeture que je distinguais sur les vitrines, les enseignes de métal qui se balançaient, les plaques informatives destinées aux amateurs de faits historiques. Le quartier donnait l’impression d’être juste endormi, puisant dans un sommeil réparateur l’énergie nécessaire qu’il lui faudrait pour affronter, dès les premières heures du lendemain, le tourbillon incessant de la vie.

Tout semblait là, donc, mais je ne me faisais plus d’illusions : derrière ces façades anodines, presque rassurantes, je savais qu’il n’y avait plus rien, si ce n’était le silence, le vide et la poussière.

J’ai tourné à droite au croisement entre la rue des Gentilshommes et l’allée de la Corderie Royale, et j’ai remonté cette dernière sur cinquante mètres avant de prendre à gauche pour m’engager gaillardement dans la rue Jean Bart. Je connaissais le quartier comme ma poche. J’aurais pu le dessiner les yeux fermés. Mes brodequins résonnaient sur les pavés et leur tap-tap me tenait compagnie. Dans ce dédale de ruelles, le vent avait moins d’emprise, c’était déjà ça. Je marchais en m’efforçant de ne penser à rien, si ce n’était mon objectif. Je fonçais tête baissée.

(Suite sur PAGE 6)

 
.

Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

"Les Aventuriers de l'incroyable": Ce n'est ni du Harry Potter, ni du Oksa Pollock, ni du Bobby Pendragon. C'est différent, mais c'est bien aussi ! Essayez ce récit, et vous serez conquis !

Si vous avez aimé votre lecture, le texte est à présent disponible - à tout petit prix - en version numérique et imprimée. Pour tous détails, cliquez sur SE PROCURER LE LIVRE.
Ce site web a été créé gratuitement avec Ma-page.fr. Tu veux aussi ton propre site web ?
S'inscrire gratuitement