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Le feu m’attendait dans un angle, se découpant dans la nuit et lançant dans les bourrasques rageuses des paquets de cendres incandescentes. Les ombres étaient présentes également, droites comme des piquets, disséminées sur toute la terrasse ; au nombre de quatre comme je l’avais parié.

J’ai jeté un œil rapide derrière moi – je ne pouvais m’en empêcher – et j’ai vu ce que je m’attendais à voir : à la place des cages d’ascenseurs et de ma cabine, il n’y avait maintenant au niveau du sol qu’une cavité béante. Il n’y avait jamais eu qu’une cavité béante.

Le cœur battant à tout rompre, j’ai marché vers l’ombre la plus proche. Fin de parcours, j’ai pensé, c’est là que l’on m’explique à quoi tout cela rime. Je crois que je l’ai amplement mérité.

Je me suis plantée devant l’ombre et j’ai attendu. J’espérais ardemment qu’elle s’exprimerait enfin, qu’elle m’annoncerait, par exemple, qu’en raison de mon comportement courageux et exemplaire, j’avais racheté à moi seule tous les péchés de la race humaine, et qu’on allait me renvoyer sur Terre sans attendre. C’était surtout ça qui me tenait à cœur : qu’on me renvoie chez moi, parmi les miens. Que ce fût en raison de ma vaillance ou parce que – mettons – l’odeur de mes pieds s’avérait nocive à l’équilibre écologique de cette planète, dans le fond, je m’en fichais magistralement.

Mais la statue n’a rien dit, se contentant de continuer à jouer son petit jeu d’émissaire muet et impénétrable. Maintenant que j’étais tout près, je voyais bien que ces créatures avaient définitivement forme humaine. Je parvenais à lire le visage de mon vis-à-vis bien mieux que celui des fantômes blanchâtres de mes visions. Il y avait une bouche – une vraie bouche – des oreilles, des cheveux en bataille qui ondulaient sous le vent, et même un nez avec des narines… surmonté d’une paire de lunettes. L’impression que j’avais eue plus tôt au pied des marches de l’esplanade se confirmait : s’il n’y avait eu son aspect immatériel, vaguement brumeux, et son regard sans pupilles, j’aurais pu me croire en présence d’un jeune tout à fait ordinaire, d’un jeune de mon âge.

J’ai reculé d’un pas, interloquée.

– Mais qui es-tu ? ai-je bredouillé.

En guise de réponse, l’ombre s’est enfin décidée à amorcer un geste et a désigné le brasier. J’ai repensé au prospectus (LAISSE LA LUMIÈRE TE GUIDER). Oui, d’accord, le feu. Il m’avait menée jusqu’ici, mais j’étais censée faire quoi maintenant ?

– Je… je ne comprends pas, ai-je pitoyablement admis.

L’ombre a esquissé un nouveau geste, pointant à présent l’index vers mon tee-shirt, le tee-shirt Planète Sciences que j’avais revêtu en hâte juste avant mon escapade par la fenêtre de ma chambre. Ben quoi ? ai-je pensé en jetant un coup d’œil au flocage qui y était imprimé. Qu’est-ce que mon tee-shirt vient faire là-dedans, maintenant ?

J’ai de nouveau regardé l’ombre, puis le feu, puis mon tee-shirt. Je ne pensais pas être la dernière des demeurées, mais vraiment, je n’arrivais pas à faire la connexion. Peut-être étaient-ce les tourbillons de la tempête qui m’empêchaient d’additionner deux plus deux ? Ou les élancements de ma migraine ? Ou le fait que, produit conjugué de mes chutes successives, de mes efforts physiques répétés et d’un trop-plein d’émotions, je tremblais de la tête aux pieds ?

L’ombre voulait que je comprenne, et je n’y arrivais pas. Le feu, le tee-shirt. Quel était le rapport bon sang ? Je n’y arrivais pas. Je n’y arriverais jamais. Je…

Tout à coup, comme surgies de nulle part, une à une les connexions se sont faites et la Vérité – la Vérité ultime, loin de toutes les fadaises auxquelles je m’étais trop longtemps raccrochée –, s’est par à-coups forcée un passage dans le champ martyrisé de ma conscience.

Le tee-shirt en question, mon beau tee-shirt jaune Planète Sciences dont j’étais si fière. Il m’avait été remis récemment, beaucoup plus récemment que je ne croyais, en même temps que la casquette même qui avait été emportée par le vent un quart d’heure auparavant…

Mais quand exactement ? Et où ? J’ai regardé intensément le feu, il y a eu un retour de vent, et sa chaleur m’a embrasé le visage. Ce brasier, c’était la version disproportionnée, caricaturale d’un feu de camp. Le feu de camp… auprès duquel j’étais assise pas plus tard que la soirée précédente en compagnie d’une quinzaine d’autres jeunes de mon âge ! Le feu de camp du séjour de pleine nature pour ados de l’association… Planète Sciences. C’est lors de ce feu de camp que l’on m’avait remis cérémonieusement – je m’en souvenais parfaitement maintenant – et casquette et tee-shirt.

Contrairement à ce que je m’étais mis dans le crâne, je ne partais pas le lendemain matin pour le camp. J’y étais déjà ! J’y étais déjà !

Les souvenirs coulaient à flots à présent : mon arrivée après cinq heures de voiture à La Chapelle – le village de montagne où se trouvait le camp de vacances –, le montage des tentes près de l’appui en dur et la première activité : une veillée au feu de camp (où, de ma voix de future candidate à la Star Ac’, j’avais massacré Santiano), suivie dès qu’il avait fait suffisamment nuit par un atelier d’astronomie. Au moment du coucher, j’avais bataillé pendant dix minutes avec la fermeture Éclair de mon duvet.

Mais pourquoi, dans ce cas, m’étais-je retrouvée dans ma chambre et non sous ma tente quand je m’étais réveillée ?

Parce qu’en fait… parce qu’en fait… loin de m’être réveillée, j’étais encore profondément endormie, voilà pourquoi !

Je m’étais lamentablement fourvoyée en écartant d’emblée l’hypothèse du cauchemar. Les rêves, bons ou mauvais, ne se passent jamais comme cela, avais-je décrété. Tu parles, Charles ! Il n’y avait pas plus d’Aliens, de planète extraterrestre ou de monstruosité-ville que de poisson rouge dans une cage à serins ! D’un authentique cauchemar il s’agissait, et j’étais empêtrée dedans jusqu’au cou !

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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