PAGE 17 (ÉPILOGUE)
Note : cet épilogue conclut non seulement ce récit mais également les quatre autres de la même collection (Voir "AUTRES RÉCITS").
Salut les p’tits gars ! Alors, elles vous ont plu, nos aventures ?
Bon. Pour cette conclusion, moi, Valentin, le binoclard du dernier récit, je reprends la narration là où Rose-Ma l’avait laissée.
Pourquoi moi ? Parce que ce fichu projet, c’est quand même ton idée ont insisté les copains.
Et s’il n’y a que ça pour leur faire plaisir...
Revenons donc six mois en arrière, lors de ce camp découverte mémorable, le lendemain de la nuit où nous nous étions retrouvés tous ensemble sous la même tente.
...
Dans la matinée nous étions allés voir Rose-Ma à l’hôpital, Charlotte, Aurélien, Victor et moi-même.
Bonne nouvelle : Rose-Ma semblait complètement remise, et le médecin ne voyait aucune objection à la laisser sortir le jour même.
Dans l’après-midi, elle était de retour. Nous n’avions fait aucune allusion aux événements de la veille mais – c’était visible sur chacun des visages des copains, et probablement sur le mien aussi – nous attendions tous notre rencontre privée, celle que j’avais suggérée, avec beaucoup d’impatience.
Après le souper, les monos avaient annoncé que notre seconde séance d’observation des étoiles était reportée. Trop de nuages. De toute façon nous coucher un peu plus tôt nous ferait le plus grand bien. Après une rapide veillée jeux, nous avions donc été renvoyés sous nos tentes, avec la consigne express de tâcher de nous endormir rapidement.
Nous, cela nous arrangeait.
A minuit précise, nous nous étions extraits de nos duvets, et tel des Indiens sur le sentier de la guerre, nous avions rejoint discrètement le côté le plus éloigné du terrain : c’était là que, derrière la remise à VTT, se tenait l’espace feu de camp.
En silence, nous avions ramassé un peu de combustible, et Victor avait rassemblé les branches en tipi avant d’y mettre le feu avec un briquet tiré d’on ne sait où. C’était un foyer modeste – nous ne tenions pas à nous faire remarquer – mais les flammes avait jailli instantanément, hautes et claires. Nous avions tiré les tabourets de bois au plus près et nous étions assis tout autour du feu.
Notre veillée mémorable pouvait commencer.
Tout d’abord, nous sommes revenus sur l’aventure de Rose-Ma. Quelques points restaient en suspens. Les questions ont fusé, et Rose-Ma a fait de son mieux pour y répondre.
Ensuite (je rêvais de cet instant depuis la veille), je me suis immédiatement porté volontaire pour raconter mes démêlés avec le mystérieux photomaton. Aurélien puis Charlotte – qui avait apporté son jeu de cartes et qui le manipulait machinalement tout en parlant – m’ont succédé. Victor a terminé la série, partageant avec nous son aventure digne d’un roman de science-fiction d’un ton détaché, presque indifférent.
Nous écoutions chacun des autres dans un silence religieux, ponctué de temps à autre de Oh ! de Ah ! et de bruits de crépitement soudains lorsque l’un de nous jetait une branche dans le feu pour l’alimenter. Nous évitions d’interrompre, nous réservant pour le moment où le copain conclurait enfin son récit. Alors, et seulement alors, nous nous en donnions à cœur joie : les interrogations succédaient aux remarques et les remarques aux fous rires.
Mais jamais au grand jamais, aucun d’entre nous n’a douté de la sincérité de ce qu’il venait d’entendre. Promis, juré. Jamais.
Finalement, juste après que Victor ait lui aussi sacrifié au petit jeu des questions-réponses, pompé, vidé, le groupe s’est tu abruptement. J’ai demandé l’heure à Rose-Ma. Incroyable : il était près de cinq heures du matin. Le ciel s’éclaircissait déjà. Notre veillée avait tourné en nuit blanche.
– Le plus triste, c’est que personne d’autre ne nous croira jamais, a soupiré Rose-Ma.
– Et si tu veux mon humble avis, c’est tout aussi bien, a répondu Charlotte.
– Peut-être, a ajouté Victor, mais moi, garder le silence après ce qui m’est tombé dessus, je trouve ça hyper, mais alors hyper frustrant.
J’ai joyeusement sauté sur cette dernière réflexion.
– Justement, en parlant de ça, je crois que je viens d’avoir une idée, ai-je annoncé fier comme un paon.
L’idée en question – l’Idée avec un grand i –, je l’avais mûrie tandis que nous partagions nos récits. Elle me semblait brillante, et pas si difficile que cela à mettre à exécution finalement.
– On pourrait tous écrire nos aventures et les faire publier. Sous forme de récits imaginaires, je veux dire.
Il y a eu un moment de flottement où chacun s’est regardé. Un moment presque embarrassant.
– Hein ? Quoi ? a fini par dire Aurélien.
–Réfléchissez, ai-je ajouté en me levant pour toiser mes compagnons. En présentant nos aventures sous forme de fiction, on gagne sur tous les tableaux : on raconte très exactement ce qui nous est arrivé sans avoir peur d’être traités de menteurs, et on peut partager nos aventures avec plein de gens.
– Minute, papillon, a coupé Charlotte. Supposons que ton bouquin sorte. Que se passera-t-il si mon frère l’achète et tombe sur mon texte, signé de mon prénom ? Il aura forcément des soupçons, et mes parents aussi.
J’ai secoué la tête, légèrement agacé.
– Cela n’arriverait pas. Nous n’aurions pas à donner nos vraies identités, ni aucun détail trop personnel. De cette façon, personne ne pourrait jamais faire le lien. On se mettrait d’accord sur un nom d’auteur fictif. Un nom de constellation par exemple. J’ai même une idée pour le titre qui rassemblerait tous nos textes...
Aurélien a fait rouler ses yeux deux ou trois fois.
– Ne me dis pas que tu veux appeler ça Le Club des cinq.
– Bien sûr que non.
– Et tu comptes les faire publier où, tes fameuses histoires ? a-t-il persisté. Tu comptes aller sonner chez – comment elle s’appelle déjà la collection à l’eau de rose de ma mère ? – tu comptes aller sonner chez Alrequin ?
– Arlequin, ai-je rectifié. Non, pas forcément. Mais je crois savoir où je pourrais les faire publier.
– C’est vrai que les bouquins, c’est un peu ton obsession, a remarqué Victor.
– Exactement. Écoutez-moi, les p’tits gars : je pourrais commencer, et ensuite chacun de vous rédigerait son texte et me le ferait passer. Qu’est-ce que vous en dites ?
– J’en dis qu’a priori, l’idée ne m’emballe pas, a répondu Aurélien. Mais rien ne t’empêche de faire publier ta propre aventure, s’il n’y a que ça pour t’éclater.
– Pas question, ai-je répondu sans même réfléchir. C’est nous cinq ou personne.
– Il y a quand même un problème, est intervenu Charlotte. Tiens, prends une carte, n’importe laquelle. Ne me la montre pas.
Je me suis approché pour prendre une carte. C’était un valet de trèfle.
– Valet de trèfle, a annoncé Charlotte sans surprise. Le hic, pour moi en tout cas, c’est la disponibilité, a-t-elle continué. Quand j’ai fini mon boulot scolaire, j’ai juste assez de temps pour travailler mes tours. Quand voudrais-tu que je m’attaque à ton texte ?
– Ce n’est pas mon texte, mais le tien, ai-je répondu du tac au tac. Et tu pourrais l’écrire à ton rythme. Je ne te mets pas le couteau sous la gorge.
J’en avais presque les larmes aux yeux. Personne ne prenait-il donc ma proposition au sérieux ?
C’est Victor qui m’a tiré d’affaire.
– L’idée de Valentin est loin d’être stupide, a-t-il observé d’un ton égal. Comme vous l’avez compris, moi, je passe mon temps à prendre des notes. Et vous savez quoi ? C’est en réfléchissant à ce que veux dire que bien des choses se clarifient. Et si je transformais ces notes en véritable récit, ce serait sans doute encore plus clair. On devrait tous tenter le coup.
– Je suis d’accord, est intervenue Rose-Ma, jusque là silencieuse. Et je vais même ajouter autre chose...
Elle a marqué une pause, balayant notre petit groupe du regard. Quand ses yeux se sont posés sur moi, j’ai senti comme une onde vibrer doucement sous mon crâne. J’ai eu un sursaut, et j’ai bien vu que les trois autres, chacun leur tour, réagissaient comme moi.
– Ces récits que nous écririons seraient notre secret, a t-elle repris. Ils constitueraient une espèce de pacte, le témoignage que nous possédons quelque chose en commun, quelque chose d’unique.
Dans la pénombre d’une nuit qui, déjà commençait à battre en retraite j’ai bien vu que cet argument portait ses fruits, et j’en ai profité pour enfoncer le clou :
– Tout le monde est d’accord alors ? On va les écrire, ces récits ?
Charlotte s’est brassée et dans son coin, Aurélien a grogné quelque chose d’inaudible.
– Laisse-les creuser l’idée, a suggéré Victor. Si on en reparlait plus tard ?
J’ai considéré la proposition et à mon tour, j’ai fini par acquiescer.
– Entendu, les p’tits gars. On se retrouve avant la fin du camp et on en rediscute. Que dites-vous de demain soir ?
J’ai senti la tension retomber et du coup, je me suis rassis. Nous avons fini les derniers moments de la nuit ainsi, les yeux rivés sur un feu qui refusait de mourir, chacun perdu dans ses pensées.
Je rebrassais dans ma tête les récits que je venais d’entendre. Les images et les idées s’entrechoquaient. J’avais conscience que quelque chose d’extraordinaire était en train de se produire. Nous formions un groupe incroyable.
Quand, dans les fourrés, une branche a cassé net, nous nous sommes retournés d’un même élan, chacun de nos sens en alerte. Tout était possible. Rien ne nous surprendrait.