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Note : ce récit constitue la cinquième et ultime aventure de la collection "Les Aventuriers de l'incroyable". Il peut se lire de façon tout à fait indépendante, mais ceux d'entre vous qui, avant cette lecture, auraient lu les épisodes précédents seront particulièrement recompensés ! Sur ce, allons-y :
Je me suis réveillée en sursaut, et j’ai su immédiatement que quelque chose clochait. La fenêtre. Elle était fermée.
J’étais certaine pourtant de l’avoir laissée entrouverte. Plus que certaine : je le savais. L’image de la chambre telle que je l’avais laissée avant de m’endormir était solidement gravée dans ma mémoire. Impossible de me tromper.
Je suis restée assise dans mon lit, incrédule, encore en état de torpeur, et pourtant, le cœur battant à tout rompre : est-ce qu’il y avait un cambrioleur sous mon lit ? J’ai jeté un coup d’œil prudent, juste par précaution : aucun intrus en vue, bien évidemment. J’ai fini par me raisonner : c’était un coup de ’Pa, c’était ça. Il avait dû entrer et refermer la fenêtre, craignant que par cette splendide nuit d’été, j’attrape quand même froid. Quel culot ! Combien de fois je lui avais répété que j’avais horreur qu’on entre dans ma chambre sans prévenir, même – et surtout – quand je dormais.
J’ai d’abord considéré la possibilité de me rendormir immédiatement, mais à la réflexion, j’ai décidé qu’il faisait vraiment trop chaud, et je me suis extirpée de mon lit pour m’aventurer, à la lumière d’un magnifique clair de lune, jusqu’à la fenêtre.
J’ai donné une secousse pour l’ouvrir, mais celle-ci, d’ordinaire docile, est demeurée fermée. J’ai donné une nouvelle secousse mais la fenêtre, pourtant déverrouillée, n’a pas bougé d’un pouce. J’ai pressé l’interrupteur pour tenter de jeter un coup d’œil au problème, mais ce maudit plafonnier, lui non plus, n’a pas daigné réagir, et je suis restée dans la pénombre. J’ai quand même fait glisser mes doigts le long du châssis de la fenêtre, mais rien ne semblait anormal. C’était curieux, tout de même.
J’ai poussé de nouveau à deux reprises, de toutes les forces dont j’étais capable, mais le seul résultat, c’est que j’ai senti poindre le début sournois d’un mal de tête. J’étais à présent parfaitement réveillée. Ça allait me prendre un temps fou pour me rendormir. Dans l’état d’excitation où j’étais déjà (je partais le lendemain matin pour la première fois en camp de vacances), franchement, je n’avais pas besoin de cela.
Je me suis promis d’en parler à ’Pa avant de partir : il jetterait un coup d’œil à la fenêtre en mon absence. Dans l’immédiat – j’ai pensé à ce moment-là – le mieux était de descendre piquer un yaourt dans le frigo de la cuisine, car j’avais étrangement un petit creux, de faire un rapide passage aux toilettes et de laisser la porte de la chambre entrouverte à mon retour. Avec un peu de chance, le sommeil me rattraperait plus tôt que je ne le pensais.
Quand la porte a refusé de s’ouvrir, j’ai eu un nouveau moment de stupeur. Je tenais la poignée fermement dans la main, je tirais, et tirais encore mais sans le moindre résultat. D’abord la fenêtre, maintenant la porte. Que se passait-il ?
Un instant, j’ai cru que j’avais engagé le verrou (engagé par mégarde, car je ne le fais jamais). J’ai fait jouer le bouton de la serrure et j’ai entendu le mécanisme se mettre en prise, CLONC, puis se libérer, CLAC, quand j’ai tourné le bouton dans l’autre sens.
La porte était bel et bien déverrouillée, mais malgré tous mes efforts restait obstinément fermée.
J’ai jeté un œil à ma montre : les aiguilles marquaient juste minuit passé. À cette heure-là, ’Pa devait être encore debout devant la télé. Je me suis mise à marteler la porte du poing et je l’ai appelé, de plus en plus en plus fort, jusqu’à m’en érailler la voix. Comme aucune course affolée dans les escaliers ne s’est ensuivie, j’ai frappé contre la cloison, celle qui me séparait de la chambre de mes deux petits frères, faisant un boucan de tous les diables.
Mais ni ’Pa ni aucun de mes deux frères ne s’est précipité à mon secours. J’ai collé mon oreille contre la porte : nul bruit n’était perceptible.
Mon cœur a cogné plus fort encore, et je me suis résolue à exploiter mon petit talent caché, celui que je n’utilise que dans des occasions spéciales. J’ai pris une profonde inspiration et j’ai scanné mentalement les autres pièces de la maison. Cette exploration m’a malheureusement confirmé ce que je savais déjà : la maison était totalement vide.
Consternée, j’ai dû me résoudre à l’évidence : j’étais prisonnière dans ma propre chambre, et ma famille m’avait abandonnée en pleine nuit.
*
Malgré ma situation, je m’efforçais de rester lucide. Coincée, d’accord, je me suis dit, mais pas coupée du monde extérieur. J’ai saisi mon portable et j’ai consulté la liste de mes contacts. Je me suis arrêtée sur l’une de mes meilleures copines. Celle-ci se couchait à des heures pas possibles. Elle saurait quoi faire, et déjà, rien que d’entendre sa voix serait bigrement rassurant…
J’ai failli hurler quand j’ai réalisé que mon Samsung restait mort, désespérément mort. Je l’avais chargé la veille, donc la batterie était hors de cause. J’ai martyrisé la touche ON, faisant ensuite subir au clavier le même traitement, mais devant l’absence persistante de la moindre réponse, j’ai fini par envoyer valser le bidule sur mon lit.
Le portable me laissait tomber, mais je refusais de m’avouer vaincue : je pouvais toujours me connecter et espérer contacter quelqu’un sur Skype ou sur Facebook. J’ai tiré mon iPad de son tiroir et je me suis assise sur le lit.
J’ai tenté d’allumer la tablette, mais, comme je commençais à le redouter, rien, absolument rien ne s’est produit.
Je me suis relevée, abasourdie, incapable d’accepter que cela puisse réellement m’arriver. J’ai tendu la main vers le mur et j’ai une nouvelle fois tenté d’allumer le plafonnier, comme ça, pour voir. Clic-clic, a fait inutilement l’interrupteur.
Pendant quelques brèves secondes, j’ai tâché de considérer les options rationnelles qui me restaient. Il n’y en avait aucune. J’ai décidé qu’il ne me restait plus qu’une seule issue raisonnable : piquer une crise magnifique, la crise de ma vie.
Je me suis jetée sans crier gare sur la porte, la martelant maintenant non seulement des mains, mais aussi des pieds. Laissez-moi sortir ! ai-je hurlé à pleins poumons. Laissez-moi sortir ou je casse tout dans la maison !
Mais ma démonstration de force est restée sans effets. La panique venait de me gagner. J’étouffais. Il me fallait de l’air. Il me fallait…
Sous le coup de l’émotion, j’ai attrapé la chaise en bois de mon bureau et je l’ai lancée en direction de la fenêtre. Ladite chaise a suivi une splendide trajectoire qui s’est achevée en plein dans sa cible. Les carreaux ont volé en éclats, mon projectile improvisé a terminé sa course au pied du mur et un vent froid s’est engouffré dans la chambre.
(Suite sur PAGE 2)